Voici le texte intégral de l’adresse prononcée le 02 octobre 2002 par le président de la République, Me Abdoulaye Wade, après le naufrage, le 26 septembre 2002, du bateau “Le Joola”.

Sénégalaises, Sénégalais, mes Chers compatriotes,
Notre pays vient d’être durement frappé par une immense tragédie qui a coûté à notre peuple plus d’un millier de personnes, hommes, femmes et enfants. Notre douleur est insondable, notre malheur incommensurable, tant le désastre, par son étendue, touche toutes les catégories ethniques, sociales et religieuses de notre pays.
Bien sûr, le destin est le fait du Tout-Puissant, mais Dieu nous a aussi dotés de liberté, donc de responsabilité dans les actes que nous commettons et qui peuvent précipiter le cours des choses. Le choc, par sa soudaineté, sa violence et son ampleur, a jeté dans le désarroi les familles, les amis, les parents des victimes et tout simplement nos concitoyens.
Les Sénégalais de tous les niveaux doivent se regarder dans les yeux, comprendre et dire pourquoi cela est arrivé. Cet examen de conscience fait avec lucidité, courage et impartialité nous préservera, peut?être, à l’avenir, de pareilles catastrophes. Dès le départ, ma conviction a été qu’il y avait quelque part des manquements et fautes successives ou concomitantes dont le cumul est à l’origine de la tragédie. Les premières informations le confirment, de même que les rapports que j’ai reçus des deux Ministères impliqués dans le lancement et le fonctionnement du “Joola”, à savoir le Ministère des Transports et le Ministère des Forces Armées.
Sénégalaises, Sénégalais,
J’ai décidé que la vérité, toute la vérité, sera dite dans cette affaire. Aussi me fais?je le devoir de vous rendre compte des dispositions concrètes que j’ai prises depuis la survenance du drame, et cela au?delà des mesures de sauvetage entreprises par le Gouvernement qui a immédiatement déclenché le plan ORSEC.
J’ai aussitôt demandé aux deux Ministères impliqués de m’établir chacun, pour le lundi à 18H, un rapport technique sur les causes lointaines et immédiates de l’accident, en accompagnant mes instructions de termes de référence précis. J’ai institué par décret une Commission technique comprenant non seulement ces deux Ministères, mais, en outre, des représentants des organisations de navigation marchande, des parents des victimes ainsi qu’un expert d’accident maritime envoyé par la France. Ce dernier est déjà arrivé à Dakar.
J’ai commis l’Inspection générale des Armées pour procéder à une enquête et me déposer un rapport sur les responsabilités dans la commission de l’accident, dans l’organisation de la surveillance maritime à l’heure du drame et aux heures qui ont suivi jusqu’aux premiers secours, sur les responsabilités dans le choix du bateau avec ses caractéristiques techniques, sur les réparations et tout autre fait pouvant nous éclairer.
Au plan politique, j’ai reçu la démission du ministre de l’Equipement et des Transports et du ministre des Forces Armées dont les départements sont impliqués dans l’acquisition du bateau, les réparations, la maintenance et la gestion. L’enquête approfondie de la Commission technique va situer les responsabilités. Parallèlement, j’ai demandé au chef d’Etat-Major Général et au Haut Commandement de la Justice Militaire de me proposer des sanctions au cas où des fautes seraient relevées.
Après avoir pleuré nos morts et prié pour eux, nous nous devons de faire notre introspection et admettre que les vices qui sont à la base de cette catastrophe trouvent leur fondement dans nos habitudes de légèreté, de manque de sérieux, d’irresponsabilité, parfois de cupidité lorsqu’on tolère des situations qu’on sait parfaitement dangereuses, simplement parce qu’on en tire un profit. La tragédie qui a frappé notre pays doit être intégrée dans notre conscience collective et nous amener, à quelque échelon que nous soyons, à faire notre examen de conscience, afin que cela ne se reproduise plus.
Nous devons être conscients que nous vivons une époque de technologie qui entraîne les foules à se retrouver au même endroit ou dans les mêmes moyens de transport et, surtout, nous dire qu’un seul manquement, une seule défaillance de notre part, une erreur ou une faute peut entraîner mort d’innocents. Vous comprendrez que je sois plus que jamais décidé à éliminer toute tolérance d’actes de nature à déboucher sur pareille hécatombe. J’en appelle à vous tous, à votre conscience de citoyen pour faire en sorte que le Sénégal ne soit plus jamais cité au palmarès de catastrophes ayant à leur base une faute humaine.
Les circonstances m’avaient conduit à décider, au?delà des personnes identifiées qui doivent être remises à leurs parents, de créer trois cimetières : Ziguinchor, Kafountine, dans la proximité des lieux de survenance du naufrage, Dakar. J’ai pris cette décision après avoir consulté tous les chefs religieux, chrétiens et musulmans, qui ont estimé qu’un cimetière national sans considération de confession religieuse ou d’ethnie est conforme à nos croyances. Je voudrais préciser que des instructions ont été données pour que chaque corps ait sa tombe personnelle.
Ce matin, nous avons dû, avec les autorités gambiennes, accepter un nouveau cimetière en Gambie pour les corps déposés sur la plage par les vagues dans un état qui ne permettait plus le transport. Les victimes seront indemnisées. Une Commission des indemnisations va être mise en place autour de l’Agence Judiciaire de l’Etat. Les représentants des familles des victimes en seront membres.
Comme je l’avais dit, un Mémorial sera édifié à un endroit qui sera choisi d’un commun accord et selon une conception qui sera soumise à l’agrément de toutes les parties. Je renouvelle mes condoléances aux parents, aux amis, à toute la nation. Des prières vont être dites au Port par les différentes confessions religieuses qui choisiront un jour de prières communes. Mais, j’ajouterai que ces prières devront se prolonger de façon permanente dans les églises et les mosquées.
Dans ce sombre tableau d’un drame national sans précédent, nous devons quand même relever quelques signes de fierté. D’abord rendre hommage à tous les naufragés, marins du bateau, simples passagers ou marins de chalutiers accourus qui, au péril de leur vie, malgré l’épuisement, se sont engagés à sauver d’autres naufragés jusqu’à la limite de leurs forces.
Je félicite aussi tous les services qui, dès l’information du drame, se sont dévoués corps et âme pour sauver des victimes sur place ou pour les transporter vers les différents centres hospitaliers. Je confonds dans ces félicitations le corps médical, médecins, infirmiers qui se sont mobilisés sans interruption pour recevoir les malades, les psychologues qui ont compris qu’ils pouvaient aider les rescapés à surmonter les souvenirs de la tragédie qu’ils ont vécue, les parents désorientés à absorber le choc, la société civile qui s’est mobilisée pour accompagner les efforts de l’Etat en vue d’assister les familles des victimes.
J’ai relevé la bonne organisation des secours, du transport des corps, de leur acheminement vers les différents centres hospitaliers. Je voudrais terminer en remerciant très sincèrement le Gouvernement gambien et les citoyens gambiens qui ont considéré ce drame comme frappant le même peuple et, aussitôt, ont décidé de prendre toutes les mesures requises par la situation.
Ce geste spontané de fraternité fait partie de ces gestes qui marqueront l’histoire commune du Sénégal et de la Gambie. Enfin, mes remerciements s’adressent à la France et aux Pays?Bas qui ont amené des secouristes et des engins dès la réception de notre appel de détresse.
Au total, ce malheur aura été aussi l’expression d’une solidarité africaine et internationale particulièrement puissante. C’est pourquoi je tiens à exprimer ma gratitude à tous les chefs d’Etat et de Gouvernement, ainsi qu’à toutes les personnalités du monde qui ont tenu à nous exprimer leur compassion. Mes Chers compatriotes,
Tels sont les messages que je me devais de vous transmettre en ces heures graves que traverse notre pays : pleurons nos morts, prions pour eux, mais, en même temps, faisons notre examen de conscience pour nous remettre en cause, afin que des faits pareils ne se reproduisent plus.
Les nombreuses fautes relevées seront sanctionnées, sans précipitation, mais avec diligence et dans la lucidité, sur la base des enquêtes. Et pour finir, je pense que la leçon républicaine à tirer de ce drame est que chaque citoyen a un droit à la sécurité qui ne doit pas être compromis par les comportements des autres. Ce droit à la sécurité pour chaque citoyen doit être inscrit en lettres d’or flamboyantes dans le ciel, afin que nul ne puisse jamais s’en détourner et que sa permanence nous arrime pour toujours aux sources de nos devoirs.
Sénégalaises, Sénégalais, étrangers qui vivez parmi nous, que Dieu vous préserve et protège votre pays.
ABDOULAYE WADE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

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