L’opposant tchadien Succès Masra, qui entend boycotter les législatives et communales du 29 décembre, dénonce une « mascarade » et accuse Paris de « freiner » le processus démocratique au Tchad par son soutien au président Mahamat Idriss Déby, dans un entretien accordé à l’AFP jeudi.
« Personne n’a voulu tirer les leçons de la présidentielle, qui était déjà un vol en règle, et on se dirige vers un bis repetita pour ces élections », dénonce l’ex-Premier ministre et candidat malheureux à la magistrature suprême.
Il estime avoir largement gagné face à M. Déby, proclamé chef de l’Etat après la mort de son père en 2021 et élu président le 6 mai dernier au terme d’un scrutin qualifié par des ONG internationales de « ni libre, ni crédible ».
Pour ces premières législatives dans le pays depuis 2015, « on se retrouve avec un camp (le pouvoir, ndlr) face à lui-même », puisque le MPS du président Deby a préféré faire cavalier seul et affronter ses alliés de la coalition Tchad uni qui avaient soutenu son élection, raille-t-il, dénonçant une « mascarade ».
Succès Masra dénonce aussi le nouveau découpage électoral décidé mi-août, qui consiste selon lui à « réduire le poids électoral des provinces les plus peuplées pour favoriser les moins peuplées ».
Le chef des Tranformateurs aurait d’ailleurs voulu un report des législatives en 2025 pour permettre aux quelque deux millions de personnes affectées par les inondations qui ont fait 576 morts dans le pays depuis juillet de « voter dans de bonnes conditions ».
De passage à Paris, il a rencontré des conseillers du président Emmanuel Macron pour leur faire « passer un message »: « L’attitude de la France constitue un frein dans notre processus démocratique ».
En cause, l’empressement de Paris à féliciter le fils Déby après l’annonce de sa victoire en mai « sans aucune preuve, et alors qu’on n’a jamais reçu les fichiers des résultats ni les copies des PV ».
– Le piège de l' »homme fort » –
« Le minimum aurait été de rester neutre, mais la France a clairement choisi une famille (les Déby) au détriment du peuple tchadien qui voulait le changement », poursuit M. Masra.
Par le passé, les autorités françaises ont souvent été critiquées pour leur soutien sans faille au Maréchal Idriss Déby Itno qui a dirigé le Tchad d’une main de fer pendant plus de 30 ans, avant d’être tué par des rebelles en se rendant au front.
Emmanuel Macron avait alors aussitôt adoubé « Kaka », comme les Tchadiens surnomment son fils désigné par une junte pour lui succéder. Il a récemment « rappelé l’importance pour la France du partenariat privilégié qu’elle entretient avec le Tchad ».
Le ministre des Affaires étrangères français Jean-Noël Barrot se rend d’ailleurs le 27 novembre à N’Djamena, dernier ancrage militaire de la France au Sahel, où Paris entretient encore plusieurs centaines de soldats et trois bases militaires.
Pour Succès Masra, « c’est une grosse erreur que de privilégier la soi-disant stabilité politique et institutionnelle en aidant l’+homme fort+ à se maintenir au pouvoir » et en faisant fi de la répression sanglante et répétée qui vise l’opposition et les militants des droits humains depuis trois ans.
Cela montre selon lui la « faiblesse » des Français, « prêts à tout » pour rester dans les bonnes grâces du régime tchadien courtisé par d’autres puissances.
N’Djamena a récemment renforcé sa coopération avec la Russie, notamment pour les achats d’équipements militaires, et s’est rapproché des Emirats arabes unis, qui lui ont octroyé un prêt de 500 millions de dollars – une « rétribution déguisée » selon les détracteurs du régime, pour faciliter des livraisons d’armes aux paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) dans la guerre contre l’armée du général Abdel Fattah al-Burhane au Soudan voisin.
« Avec cette logique, c’est le plus armé qui gagne. Sauf que ça ne résout rien si ces dirigeants n’ont pas de légitimité démocratique et sont contestés jusque dans leurs propres rangs », affirme M. Masra, pointant les divisions au sein même du clan présidentiel, et la menace des multiples groupes rebelles qui sévissent dans le pays.
« C’est même dangereux, regardez où cela a conduit le Soudan, d’avoir des +hommes forts+: à la fin tout le monde se tape dessus, le pays se délite, il n’y aura pas de gagnant ».