Dans le contexte actuel du Mali, marqué par une crise sécuritaire, des tensions politiques internes et une instabilité économique, l’analyse des actions du gouvernement de transition et des perspectives pour l’avenir du pays revêt une importance cruciale. Moussa Mara, ancien Premier ministre du Mali, nous livre ses réflexions sur les enjeux majeurs du pays, sa vision pour l’avenir et les réformes nécessaires pour restaurer la stabilité et le développement. Dans cet entretien accordé à Seneweb, il aborde des sujets variés allant de la réconciliation nationale à la gestion des ressources naturelles, en passant par le rôle de la jeunesse et les relations internationales du Mali. Ses réponses offrent une perspective nuancée sur les défis actuels et les pistes possibles pour un avenir plus prospère.

Le récent renvoi de l’ex-Premier ministre Choguel Maïga par le président de la transition, Assimi Goïta, a soulevé beaucoup de questions dans l’opinion publique. En tant qu’ancien Premier ministre, quelle est votre analyse de cette décision ? Selon vous, quel impact ce renvoi pourrait-il avoir sur la stabilité politique et la gestion de la transition au Mali ?

« Il est clair qu’après ses déclarations publiques, le Premier ministre Maïga ne pouvait plus rester en poste. Le Premier ministre est un instrument du chef de l’État, chargé d’appliquer sa politique. Il ne peut y avoir de divergence entre eux, et dans ce cas, c’est le Premier ministre qui part, que ce soit par démission ou par limogeage. Ce qu’il faut déplorer, c’est l’attitude du chef de l’État, qui a travaillé pendant des années avec un Premier ministre en qui il n’avait manifestement pas totalement confiance. Il aurait dû choisir un Premier ministre de confiance dès le départ. Maintenant, tout cela est derrière nous. Espérons que la gouvernance du pays s’améliorera durant les derniers moments de la transition. »

“Le Mali doit retrouver une coopération respectueuse de notre souveraineté”

Le Mali traverse une période de tension avec la communauté internationale, notamment avec la France et les autres partenaires européens. Quel est, selon vous, le rôle que le Mali doit jouer vis-à-vis de ses partenaires extérieurs tout en préservant sa souveraineté nationale ? Et quel devrait être le bon équilibre entre coopération internationale et autonomie du Mali ?

« En jetant un regard sur le passé, la réponse à cette question est évidente. Aucun des différents chefs d’État que nous avons eus n’a négligé la souveraineté du pays. Au contraire ! Modibo Keita a exigé le départ des troupes françaises en 1960 pour préserver la souveraineté du Mali. Moussa Traoré a aussi refusé plusieurs diktats de certains partenaires concernant l’ajustement économique ou la libéralisation politique, en défendant le droit du Mali à définir son propre agenda. Alpha Oumar Konaré a refusé de répondre à une convocation du président français en 2003, et Amadou Toumani Touré a refusé un diktat français concernant la réadmission des migrants illégaux. Chacun de ces dirigeants a pris ces décisions sans se détourner de la communauté internationale. C’est ce que le Mali doit retrouver aujourd’hui : une coopération respectueuse de notre souveraineté. Le non-alignement, qui est l’épine dorsale de notre politique diplomatique depuis 60 ans, doit rester la ligne directrice. »

“Une négociation approfondie avec la rébellion est nécessaire. Il faut également des discussions spécifiques avec les groupes terroristes, principalement composés de Maliens”

Le processus de réconciliation nationale est souvent présenté comme une priorité pour stabiliser le Mali. En tant qu’acteur ayant été au cœur du gouvernement de transition sous Ibrahim Boubacar Keita, quelle serait, selon vous, la démarche la plus appropriée pour réunir toutes les forces politiques et sociales du pays, y compris les groupes armés du nord, afin de parvenir à une paix durable ?

« Il y a deux ou trois perspectives à clarifier et fixer pour ensuite imaginer les voies et moyens de les traiter de manière efficace : la rébellion, le défi terroriste et l’unité politique pour sortir de la transition par le haut. Ce n’est pas une grande messe qui permettra de traiter toutes ces questions sérieusement, il faut des traitements différenciés. Une négociation approfondie avec la rébellion est nécessaire. Il faut également des discussions spécifiques avec les groupes terroristes, principalement composés de Maliens. Enfin, un cadre politique structuré autour d’une concertation nationale, pour identifier les tâches restantes de la transition, doit être mis en place. Pour les deux premières tâches, l’Union africaine, l’Organisation de la Conférence Islamique et certains pays du Moyen-Orient pourraient jouer un rôle de facilitation. Avec une approche méthodique, des solutions peuvent être trouvées. »

“Si les mauvaises pratiques persistent, il y a toujours des risques de déstabilisation”

Le Mali fait face à une grave crise sécuritaire dans le centre et le nord du pays, avec la présence d’acteurs djihadistes et des tensions communautaires exacerbées. Quel programme de réformes devrait être mis en place pour renforcer l’armée malienne et garantir la sécurité des populations tout en évitant des dérives autoritaires et une militarisation excessive de la politique ?

« Le renforcement de l’armée et des forces de sécurité est l’une des réussites de la transition actuelle, et cela est normal. Nous devons continuer dans cette direction, en investissant dans la gouvernance de nos forces armées et de sécurité pour plus de transparence, d’équité, de redevabilité et en respectant strictement les normes militaires. Nous devons également rendre nos troupes plus agiles et adaptées aux menaces terroristes. Pour éviter la militarisation excessive de la politique, il faut préparer le retour à l’ordre constitutionnel et améliorer la gouvernance du pays. Si les mauvaises pratiques persistent, il y a toujours des risques de déstabilisation. »

“Le texte sur le contenu local est un pas positif qu’il faut encourager et concrétiser”

Le Mali dispose de nombreuses ressources naturelles, notamment minières et agricoles. Toutefois, ces ressources semblent mal exploitées et ne profitent pas suffisamment à la population. Quel est selon vous le programme adéquat pour assurer que le pays devienne véritablement maître de ses ressources et que celles-ci soient utilisées pour le bien-être de tous les Maliens, notamment les populations rurales et les jeunes ?

« Il faut saluer la volonté de la transition de rendre le secteur minier plus intégré, avec une plus grande part de la valeur ajoutée qui reste au Mali. Le texte sur le contenu local est un pas positif qu’il faut encourager et concrétiser. Nous devons impérativement renforcer les capacités de nos sous-traitants locaux et établir une véritable industrie minière nationale. Il est inutile de demander aux entreprises minières de donner des marchés aux entreprises nationales si ces dernières n’en ont pas la capacité. De plus, il faut corriger les réformes qui tentent de réintroduire l’État dans la gouvernance opérationnelle des sociétés minières, ce qui est une erreur. Enfin, il est essentiel de s’attaquer au secteur informel minier, qui est aussi important que le secteur formel, mais qui génère des pertes fiscales, financières et environnementales considérables pour le pays, sans oublier la corruption des décideurs publics. »

“Le Mali un avenir prometteur, mais il faut d’abord soigner ses plaies actuelles”

Face aux défis multiples du Mali, comment envisagez-vous le Mali de demain ? Quelle est votre vision d’un Mali autonome, indépendant et prospère ? Quels seraient les principaux axes de développement économique, social, et environnemental à mettre en place pour garantir un avenir meilleur aux générations futures, en tenant compte des impératifs écologiques et humains ?

« Le Mali n’a pas encore commencé à exploiter sérieusement son immense potentiel socio-économique et culturel. Nos ressources humaines, en particulier nos jeunes, nos agriculteurs, nos entrepreneurs et notre diaspora, sont notre plus grand atout. De plus, la terre disponible et l’eau de surface dont nous disposons nous placent dans une position favorable pour devenir un des greniers de l’Afrique. Le potentiel énergétique, notamment en termes d’énergies renouvelables comme le solaire et l’hydrogène, est énorme. Le pays a un avenir prometteur, mais il faut d’abord soigner ses plaies actuelles. La priorité doit être la sécurité, la paix, la réconciliation et une gouvernance responsable pour redonner confiance aux Maliens et les inciter à se joindre pour avancer dans la même direction. »

“Toute ma vie politique a été axée sur la résolution des défis internes, au lieu de toujours blâmer les autres. La priorité doit être de régler nos problèmes internes par nous-mêmes”

Le Mali est un pays marqué par plusieurs décennies de corruption et de mauvaise gestion de la part de ses gouvernements successifs. Pensez-vous qu’il soit possible de progresser uniquement grâce à des accords et des partenariats avec les pays occidentaux, sans d’abord avoir travaillé à rétablir l’ordre interne dans le pays ?

« C’est évident. Toute ma vie politique a été axée sur la résolution des défis internes, au lieu de toujours blâmer les autres. La priorité doit être de régler nos problèmes internes par nous-mêmes. Nous avons les moyens nécessaires, tant sur le plan socio-culturel, politique qu’institutionnel. Si nous faisons notre part, cela convaincra la communauté internationale de nous soutenir. En matière de gouvernance, il faut sortir de la culture de l’exploitation des avantages du pouvoir à des fins personnelles, pour adopter une culture d’humilité, de redevabilité, de méritocratie et de dévouement aux populations qui nous font confiance. Les dirigeants et les élites maliennes doivent enfin se mettre au service du peuple pour ouvrir une nouvelle page de notre histoire nationale. »

À votre avis, le pouvoir actuel met-il réellement l’accent sur le rétablissement de l’ordre et la stabilité intérieure avant de s’engager sur d’autres fronts ?

« Cela est clairement indiqué dans les objectifs de la transition. Des efforts sont en cours et des résultats ont été obtenus. Cependant, les défis demeurent immenses. L’ordre et la stabilité ne dépendent pas uniquement des forces armées, mais aussi de l’intelligence et de l’utilisation des moyens socio-économiques appropriés. La présence de l’administration sur le terrain, pour fournir des services essentiels aux populations, est un facteur clé de succès en matière de stabilité. Offrir des opportunités économiques aux jeunes est également crucial dans cette démarche. »

Quel rôle attribuez-vous à la jeunesse malienne dans le contexte actuel du pays, et comment voyez-vous son implication dans la reconstruction du Mali ?

« La jeunesse malienne est profondément impliquée dans la gestion des maux du pays. Il est important de noter que les principaux leaders du pays sont des jeunes de moins de 50 ans, ce qui représente un progrès. Il est essentiel de continuer à rajeunir le leadership, car plus de 75% des Maliens ont moins de  35 ans. Cela donnera au pays des chances supplémentaires pour compter sur l’échiquier socio-politique international.»

Entretien réalisé par Aminata TRAORÉ (correspondante)

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