L’économie sénégalaise a traversé des périodes de croissance robuste, suivies de chocs significatifs tels que la pandémie de COVID-19 et les tensions géopolitiques mondiales. Ces événements ont eu un impact majeur sur la croissance économique, réduisant le PIB réel de 5,3% en 2019 à 1,5% en 2020. Bien que des signes de reprise aient émergé en 2021, les défis persistants ont souligné la nécessité urgente de réformes profondes pour restaurer une croissance durable. Les finances publiques ont été fortement affectées, avec un déficit budgétaire passant de 3,9% en 2019 à 6,4% en 2020 avant de se stabiliser à 4,9% en 2023. Cette situation a entraîné une augmentation rapide de l’endettement public, dépassant les 80% du PIB en 2023, principalement dû à une dette commerciale croissante.

Pour faire face à ces défis, le Consortium pour la recherche économique et social (CRES) a exploré des solutions de financement innovantes comme les droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI, via la Facilité pour la Durabilité et la Résilience (RST). Ces fonds offrent des conditions avantageuses pour financer des investissements publics tout en minimisant l’impact sur la dette publique. Cependant, l’accès à ces fonds est conditionné par des réformes économiques rigoureuses et une gestion prudente des finances publiques.

Lors de l’atelier sur les réallocations de droits de tirage spéciaux (DTS) et le financement de la relance économique au Sénégal, le Professeur Abdoulaye Ndiaye, directeur exécutif du Centre de Recherche en Économie et Finance Appliquées de Thiès (CRES), a répondu aux questions concernant les principaux résultats de la recherche menée par son institution. « La recherche que nous avons menée a porté sur l’utilisation des droits de tirage spéciaux pour financer la relance économique au Sénégal. Il s’agit de ressources rendues disponibles par les pays du G20 à la suite de l’allocation exceptionnelle de 650 milliards FCFA de DTS décidée par le Conseil d’administration du FMI en 2021, en réponse aux difficultés budgétaires des pays après la COVID-19. Cet atelier vise à familiariser les journalistes économiques, les décideurs publics et les organisations de la société civile avec le mécanisme de financement par réallocation des DTS. Nous avons aussi présenté les résultats de nos travaux sur les options économiques disponibles pour le Sénégal. »

Poursuivant, il a affirmé que « d’une manière générale, nous avons examiné les conditions que le Sénégal devrait remplir pour accéder à ces ressources. Nous avons revisité le cadre macroéconomique du Sénégal pour identifier ses forces, ses faiblesses, et les contraintes à court et long terme. Nous avons également défini les axes prioritaires pour établir un cadre macroéconomique permettant une croissance économique forte et durable. Actuellement, le cadre macroéconomique du Sénégal n’est pas optimal. Le taux d’endettement est excessivement élevé, ce qui impacte le service de la dette et consomme une part importante des recettes publiques. De plus, une grande partie de cette dette est à court terme et à des taux d’intérêt élevés, ce qui empêche d’affecter les ressources nécessaires à des investissements à long terme, comme dans l’éducation ou la santé. Pour bénéficier de ces mécanismes de financement, le Sénégal doit mettre de l’ordre dans ses finances publiques, financer ses dépenses de fonctionnement sans emprunter, et mobiliser davantage de ressources internes ».

À l’en croire, « actuellement, le niveau de prélèvement est insuffisant pour soutenir un véritable développement. Nous n’avons pas encore atteint les 20% du PIB prélevé par l’État, alors que le minimum requis devrait être d’au moins 25% pour assurer un développement durable. »

L’endettement public et sa progression rapide

De son côté, Dr Fanta Ndioba Sylla a expliqué que « le déficit public, par exemple, a atteint 6,4% du PIB en 2020 avant de légèrement s’améliorer à 4,9% en 2023 (DPEE, 2021; 2024). Parallèlement, l’endettement public a connu une progression rapide, passant de 52,5% du PIB en 2019 à 73% en 2021, pour finalement dépasser les 80% en 2023. Cette situation est exacerbée par une hausse de la dette commerciale, qui représente désormais 57% de la dette totale, surpassant la dette concessionnelle traditionnellement plus favorable.

Evolution des Finances Publiques

L’évolution des finances publiques sénégalaises sur la période 2010-2025 montre une tendance structurelle où les dépenses publiques dépassent systématiquement les recettes. Le déficit budgétaire, bien qu’il ait diminué à 3% du PIB en 2017, a rebondi à 6,3% durant la période de la COVID-19 (2020-2022) avant de revenir à 4,9% en 2023. Il est prévu de baisser à 3% en 2025. »

Ces fluctuations illustrent les défis auxquels le pays est confronté pour stabiliser ses finances publiques dans un contexte de crise. Entre 2010 et 2014, le Sénégal a bénéficié de l’effacement d’une partie significative de sa dette extérieure, ce qui a maintenu le niveau d’endettement relativement bas. Cependant, depuis 2015, l’encours de la dette a augmenté rapidement, atteignant 61,5% du PIB en 2018 et 80% en 2023.

 » L’émission d’une euro-obligation de 2,2 milliards de dollars en mars 2020 a contribué à cette progression rapide de la dette. Malgré une légère diminution attendue à 69,5% du PIB en 2024 grâce aux projets d’hydrocarbures, la structure de la dette reste préoccupante. La dette commerciale, désormais prédominante, a conduit à une détérioration de la viabilité de la dette. En 2020, le service de la dette représentait 27% des recettes de l’État, un chiffre qui devrait descendre à 26% en 2024. Toutefois, le Sénégal conserve un risque modéré de surendettement, bien que sa marge de manœuvre pour absorber de nouveaux chocs soit limitée, selon le FMI et la Banque mondiale. Endettement, Investissement Public et Croissance Économique.

L’endettement public du Sénégal n’a pas suffisamment stimulé les investissements publics. Au lieu de cela, il a principalement soutenu la consommation. Pour assurer une croissance économique durable, l’endettement devrait être utilisé pour financer des projets générateurs de croissance »,  a-t-elle détaillé.

Selon cette dernière, une amélioration de l’efficience des investissements publics est cruciale pour garantir que les fonds empruntés sont utilisés de manière optimale. De plus, le financement par l’endettement devrait privilégier des conditions favorables, telles que des taux d’intérêt bas et des maturités longues. Effort Fiscal et Élargissement de l’Espace Budgétaire La pression fiscale au Sénégal reste faible, oscillant entre 18% et 20% du PIB entre 2011 et 2020, ce qui est inférieur à celui de nombreux pays en développement.
Pour atteindre un niveau de développement durable, le prélèvement fiscal devrait atteindre au moins 25% du PIB, comme c’est le cas dans les pays émergents. L’augmentation des recettes fiscales, soit par la modification des taux d’imposition soit par un renforcement du recouvrement de l’impôt, est essentielle. Cependant, la prédominance de l’économie informelle et rurale constitue une contrainte majeure.

Recommandations

Le professeur Abdoulaye Ndiaye a soutenu que  « pour surmonter ces défis, le Sénégal doit explorer des moyens de financement innovants et flexibles qui n’aggravent pas la dette et le déficit publics. Une option possible est d’accéder aux réallocations de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI à travers la Facilité pour la Durabilité et la Résilience (RST). Ces fonds, assortis d’un faible taux d’intérêt et d’une longue période de maturité, offrent des capitaux bon marché pour réaliser des investissements publics.

Conditions et Défis d’Accès aux Fonds RST 

L’accès aux fonds RST est soumis à des conditionnalités strictes. Le Sénégal remplit l’une des conditions principales, qui est de mener un programme appuyé par le FMI comportant des mesures de politique publique de qualité. »

Cependant, le pays doit prouver sa capacité à rembourser le FMI et réduire sa dette pour augmenter ses chances d’accéder à ces fonds. La production de pétrole et de gaz, prévue pour débuter en 2024, pourrait aider en augmentant les recettes publiques et en réduisant le recours à la dette extérieure.
Pour se faire M.Ndiaye « une gestion financière durable de réduction des nouveaux emprunts, la mobilisation des ressources en créant un espace budgétaire, et l’utilisation des DTS pour financer des politiques d’atténuation des effets du changement climatique, notamment par des investissements dans les énergies renouvelables… »

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